La psychanalyse est une scène de crime. Ça remonte à loin. Qui a tué Laïos ? Pour Sophocle, il n’est pas absolument sûr que ce soit OEdipe – des témoins parlent d’une bande de voleurs. En revanche, si avec Freud on se rend sur la scène de l’inconscient, là, évidemment, la volonté de tuer ne fait aucun doute. Il est notable que trois des œuvres majeures de la bibliothèque analytique, OEdipe-Roi, Hamlet et La Lettre volée, sont, à des titres divers, des polars. L’analyste-détective est une gure quasi native de
la psychanalyse. Maintenant, depuis Edgar Allan Poe, en plus de l’oreille, le psychanalyste est requis d’ouvrir l’œil, parce que sa tâche est désormais aussi de collecter les objets qui traînent. L’élucidation lacanienne tiendrait de ce qu’on nomme l’investigation. « Rien de plus humain que le crime », disait Jacques-Alain Miller.
Sur l’autre scène, nous sommes tous criminels, voilà le sûr – mais que le crime fasse traumatisme, ce n’est pas sûr du tout. Du coup, l’enquête s’oriente sur le corps du délit. C’est le nœud de l’affaire. On a des indices disséminés, et à partir d’eux on cherche à tracer une silhouette. Il s’agit de savoir qui a été tué, ou quoi. On a le criminel, le problème, c’est l’objet du crime qui manque. Où est passé le corps ? C’est un casse-tête analytique quotidien.
Gérard Wajcman